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News
14 octobre 2021

Depuis 2009 et l’introduction des supports digitaux dans la liste des supports autorisés pour la publicité des boissons alcoolisées, on savait l’ANPAA (devenue Addictions France en janvier 2021) très opposée à la présence de ces marques sur les réseaux sociaux. Depuis elle a ajouté à son objectif la présence de messages sur les boissons alcoolisées par des e.influenceurs sur leurs comptes Instagram, Facebook ou YouTube.

Un bonne fois pour toute, il convient d’abord de rappeler que la loi de 2009, qui a autorisé la publicité digitale, ne comporte aucune disposition qui exclurait par principe les réseaux sociaux. Seuls les supports, qui par leur caractère, leur présentation ou leur objet apparaissent comme principalement destinés à la jeunesse, sont exclus de cette autorisation. Et aucun des réseaux sociaux précités ne rentre dans cette catégorie puisqu’ils sont consultés et utilisés en très grande majorité par des + de 18 ans.

A plusieurs reprises, l’ANPAA a assigné des producteurs pour des contenus digitaux. Elle a obtenu des condamnations quand les juges ont estimé que ces contenus n’étaient pas conformes à la liste des thèmes autorisés de l’article L3323-4 du CSP.

Mais l’ANPAA n’a jamais obtenu une condamnation de principe de la présence sur les réseaux sociaux des marques d’alcool, ni de condamnation de principe par les juges de l’utilisation de l’e.influence par les marques de boissons alcoolisées.

Addictions France vient de trouver un moyen de contourner cette inertie des tribunaux. Elle emploie la peur comme une arme.

Elle adresse des courriels à des influenceuses qui publient des contenus comportant des marques de boissons alcoolisées, et, sous le prétexte d’un "rappel à la loi" (sauf que le rappel à la loi est une mesure pénale ordonnée par des juges à l'encontre de l'auteur d'une infraction de faible gravité, et Addictions France n’est pas un juge), menace lesdites influenceuses de poursuites judiciaires pouvant déboucher sur une amende de 75.000 euros (aïe) et une inscription au casier judiciaire (re aïe)

Addictions France est très claire, le but est d’éradiquer la présence des marques d’alcool puisque comme elle l'écrit aux influenceuses, effectuer quelques modifications aux publications pour tenter de la rendre conforme serait insuffisant. Le simple fait de publier un contenu lié à l'alcool qui associe leur image à celle d'une boisson contenant de l’alcool, est une opération de parrainage (sponsoring) qui est interdite par la loi. Et dans leur propre intérêt, Addictions France demande de retirer les contenus visés par ses courriels ainsi que tout autre post évoquant l'alcool. Addictions France constate, qualifie et sanctionne.

Cette technique est choquante à plus d’un titre :

  • Le ton employé laisse penser que l’infraction est certaine et la sanction acquise, comme si Addictions France avait un pouvoir juridictionnel. Addictions France n’est qu’une association et non un rouage du pouvoir judiciaire. C’est aux juges, et à eux seuls, qu’il appartient de constater l’infraction et de prononcer le cas échéant la sanction, dans le cadre d’une procédure contradictoire où chacune des parties peut s’exprimer. La tournure de ces courriels mériterait plus de « modération ».
  • Nous sommes face à une tentative d’intimidation de personnes qui n’ont pas obligatoirement la formation juridique nécessaire, même si la grande majorité des acteurs de ce secteur économique des boissons alcoolisées ont mis en place des procédures pour sécuriser avec les influenceurs les contenus et faire respecter la loi.
  • Quand on fait un « rappel à la loi », la moindre des choses est de ne pas donner des informations incomplètes ou erronées. Par exemple exiger la présence du message sanitaire « l’abus d’alcool est dangereux pour le santé » en omettant de citer dans la forme complète telle qu’elle est pratiquée en conformité avec la recommandation « Alcool » de l’ARPP, c’est-à-dire « l’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération ». Ou écrire que le message sanitaire doit être dans le visuel, ce que la loi Evin ne dit pas.

Que les choses soient claires :

  • Si une publicité n’est pas conforme aux dispositions de la loi Evin, il est normal que son auteur soit sanctionné.
  • Plutôt que d’encombrer le Tribunal Judiciaire de Paris, le recours à un règlement amiable est préférable et que cela prenne la forme d’un courrier à la société responsable de la publicité est une bonne chose. Qui dit règlement amiable dit discussion et négociation.
  • Enfin essayer d’ajouter une limitation supplémentaire à la loi en « influençant » les e.influenceurs pour qu’ils cessent purement et simplement de communiquer sur des marques de boissons alcoolisées de peur des sanctions, n’est certainement pas une méthode satisfaisante et conforme à nos principes juridiques.

 

Ce procédé est d’autant plus critiquable que l’ARPP mène depuis un certain temps une action pédagogique de grande qualité pour susciter le respect des règles en matière d’e.influence. La discussion et l’accompagnement plutôt que le bâton. L’éducation plutôt que la répression !

 

12 octobre 2021

Olivier Poulet

Maitre Olivier Poulet
Avocat au Barreau de Rennes

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