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News
20 septembre 2018

L’ANPAA vient d’obtenir du juge des référés du TGI de Paris une décision qui est pour le moins choquante et ne va pas concourir à simplifier la tâche des producteurs.

Les faits

La marque Carlsberg commercialise en France des cannettes de bière vendues à l’unité et des packs de bières qui reproduisent la photographie de quatre joueurs de football du championnat sportif Barclays Premier League et sur lesquels il est mentionné « Bière officielle de la Barclays Premier League ». On trouve aussi sur ces cannettes et packs le logo de la compétition et les mentions « Gagnez vos places pour la Barclays Premier League, rendez-vous sur Carlsberg.fr et entrez le code présent à l’intérieur de ce pack et d’autres lots, voir extrait du règlement et modalités de participation sous le pack ».

Dans le même temps, était mis en place un jeu sur Internet permettant de gagner des place pour un match de Barclays Premier League, des maillots et ballons officiels signés, des verres, des écharpes et des sacs Barclays Premier League, dont l’accès est expliqué sur les packs de bière Carlsberg.

La décision du juge des référés

Kronenbourg, distributeur en France de la marque Carlsberg, est condamnéau retrait de la vente, en tout lieu, des cannettes et des packs de marque Carslberg décrits dans l’assignation le tout sous astreinte de 1 000 € par jour de retard, passé un délai de quinze jours postérieurement à la signification de la décision, l’astreinte courant pendant un délai d’un mois.

La motivation de la décision

Tout en accueillant l’argumentation de Kronenbourg selon laquelle les dispositions de la loi Evin sur le contenu de la publicité ne s’appliquent pas au conditionnement, le juge affirme que si le conditionnement d’une boisson alcoolique constitue une forte incitation à la consommation, il relève alors de ces dispositions législatives, puisque (la logique de la liaison est assez floue) l’article L. 3323-2 du code de la santé publique énonce que toute opération de parrainage est interdite lorsqu'elle a pour objet ou pour effet la propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur des boissons alcooliques.

Pour le juge l’association entre le rappel d’une compétition sportive et la bière Carlsberg constitue bien une publicité en faveur de la bière dès lors que le consommateur qui est captivé par les matchs du championnat d’Angleterre de football Premier League sera plus facilement attiré par l’achat de la bière Carlsberg, surtout qu’il est précisé expressément sur les cannettes qu’elle est la bière officielle de la compétition (sic !).

En outre le rappel de ce championnat et les photographies de quatre joueurs connus ont tendance à créer sur un certain public un lien automatique entre la bière Carlsberg et les matchs de compétition et en font une publicité pour cette boisson, destinée à tout le moins à tous les passionnés de ce sport (re sic !). Ce qui est représenté sur les packs sont des références visuelles totalement étrangères aux seules indications énumérées par l'article L. 3323-4 du code de la santé publique qui visent à promouvoir une image de convivialité associant le sport de compétition et la bière, ce qui est de nature à inciter le consommateur à absorber cette boisson alcoolique dès qu’il regarde des matchs de cette compétition. (re re sic !).

Commentaires

Cette décision est choquante pour plusieurs raisons.

Encore une fois la frontière entre ce qui est de la publicité et ce qui ne l’est pas est très flou et fluctuant. Comme dans la décision Paris Match de mars 2013, le juge attribue un caractère publicitaire à des représentations non pas en se rapportant aux définitions de la publicité mais parce ces représentations ne sont pas conformes aux dispositions de la loi Evin sur les thèmes autorisés. Et sont incitatives.

En clair dès lors qu’on parle ou qu’on montre une boisson alcoolisée dans des termes qui ne sont pas strictement conformes aux dispositions de la loi Evin, quel que soit le support ou l’objectif, c’est une publicité et elle est forcément illégale.

Cela ne va pas concourir à simplifier les choses.

On peut s’interroger d’ailleurs sur le fait que l’ANPAA n’ait pas assigné Amélie Nothomb dont le dernier livre Prétronille est une description de la consommation plus ou moins conviviale du champagne !

Par ailleurs, et c’est plus choquant, tout en ne contredisant pas Kronenbourg sur le fait que la liste des thèmes autorisés ne s’applique pas au conditionnement, le juge décide que parce que les mentions qui figurent sont « fortement incitatives », le conditionnement devient en lui-même un support soumis à la loi. Le juge devient ainsi législateur en ajoutant à la liste des supports autorisés soumis à l’obligation de respecter les thèmes autorisés, un 10° qui porte sur les conditionnements.

La révision de la loi Evin était demandée, mais au législateur dont c’est le travail et pas au juge dont le travail est d’appliquer les lois, pas de les modifier.

Enfin, les arguments utilisés pour considérer que la bouteille est fortement incitative montrent un consommateur totalement sous domination avec des réflexes pavloviens assez discutables. Ils illustrent bien qu’en réalité le but est de protéger contre lui-même un consommateur particulièrement passif et incapable de juger de ce qui est bon ou non pour lui.

Si on tire le raisonnement jusqu’au bout cela revient à dire d’une bouteille conforme à la loi Evin est une bouteille neutre, bref qu’il faut appliquer à l’alcool ce qui est en train de se décider pour les paquets de tabac.

Il sera intéressant de voir les suites qui seront données à cette décision.

Pour information cette décision comporte une autre nouveauté sur la légalité des jeux en ligne qui fera l’objet d’un article ultérieur.

23 octobre 2014

Olivier Poulet

Maitre Olivier Poulet
Avocat au Barreau de Rennes

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