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9 février 2023

Le 5 janvier dernier le tribunal judiciaire de Paris a rendu une décision sur un certain nombre de contenus publiés par des influenceurs.

Cette décision, rendue dans le cadre de la procédure instituée par l’article 6.1.8 de la loi LCEN, vise à obtenir d’un éditeur en ligne / hébergeur de contenus litigieux, la suppression de ces contenus et l’obtention d’information sur les auteurs des contenus.

L’assignation ne concernait de ce fait que META (maison mère de Facebook et Instagram). Ni les influenceurs cités, ni même les marques ne sont parties à la procédure.

L’assignation ne portait pas sur la conformité de la technique de l’influence, ni d’ailleurs sur le respect de l’obligation de signalement du caractère publicitaire de contenus publiés. Elle ne comporte d’ailleurs aucun élément pour s’assurer que les contenus sanctionnés ont été, ou non, rédigés et publiés dans le cadre d’accord avec les marques et qu’il s’agissait bien d’influence.

La décision, en ce qu’elle analyse de manière très basique des contenus comportant la présence de marques d’alcool, et les qualifie d’incitation à une consommation excessive, comporte des passages très contestables sur l’illégalité de ces contenus au regard du CSP.

Le présent article a pour objectif de discuter de ces passages et non de ce qui est le fondement de la procédure.

En quoi un contenu évoquant une boisson alcoolisée incite à une consommation excessive ?

Cette question est récurrente. Et elle est primordiale car c’est pour l’ANPAA, et les juges, ce qui valide l’assignation, la lutte contre la consommation excessive d’alcool. 

Si on se réfère aux définitions, ( https://www.cnrtl.fr/definition/excessif) est excessif ce qui dépasse la mesure, le degré convenable. Ce qui est exagéré, très grand, extrême. Ce qui pousse les choses à l’excès, à l’absence de modération. Ce qui dépasse une moyenne, ou une quantité considérée comme optimale.

Inciter à l’achat ou à la consommation d’une boisson alcoolisée est autorisé puisque la publicité pour les boissons alcoolisée est autorisée (contrairement à la publicité pour le tabac). Consommer, quelle que soit la quantité, est-ce consommer avec excès ? Si la réponse est oui, cela revient à refuser toute publicité et cela nous ramène à une situation de prohibition. Ou bien faut-il rappeler les éléments de consommation à moindre risque de l’OMS ?

Cette décision n’apporte aucune réponse puisque, suivant l’ANPAA, les juges constatent (mais sans apporter d’élément probant) que tous les contenus cités « incitent à une consommation excessive ».

L’autre argument des juges, très contestable, vise à considérer que la notoriété des influenceurs associée au caractère publicitaire des contenus, constitue un dépassement du cadre légal pour cette publicité. Cela pourrait vouloir dire que plus un support a de notoriété, plus la publicité est illégale. Or rien dans le CSP ne lie la publicité autorisée à un critère de notoriété du support.

Les juges font une analyse très sévère et contestable des contenus

Reprenant la longue liste de l’ANPAA dans son assignation, les juges décrivent les différentes photographies publiées et, parfois le texte accompagnant ces photographies mais sans jamais chercher à vérifier si la liste des thèmes de l’article L3323-4 du CSP est respectée.

Agir ainsi c’est faire fi des différentes décisions antérieures (comme la jurisprudence CIVB) dans lesquelles il était expressément jugé que « la publicité en faveur d’une boisson alcoolisée demeure en principe licite, la loi se bornant, dans un but de prévention d’une consommation excessive, à en limiter ses modalités. Or, par nature, toute publicité ne peut avoir comme objectif que de modifier le comportement de son destinataire en provoquant l’achat du produit présenté, soit en provoquant le désir d’acheter et de consommer. La présentation du produit à promouvoir suppose donc que ce dernier, et sa consommation, soient présentés sous un jour favorable et de façon attractive, la créativité des annonceurs étant seulement encadrée et non totalement muselée…Il incombe par conséquent à la Cour de rechercher si les limites fixées par le texte susvisé ont été respectées, étant rappelé que, licite en son principe, la publicité relative à une boisson alcoolisée doit porter sur les éléments limitativement énumérés par l’article L3323-4 du CSP. »

Or un certain nombre de ces photographies, et de ces textes, se rattachent par exemple expressément au thème du mode de consommation :

  • Publications de floriane_lt montrant un pique-nique,(a) de marion.bertello montrant un diner sur une jetée, rattachable au thème du moment de consommation,(b)
  • Publication de mysweetcactus montrant la recette d’un cocktail accompagné d’une planche de charcuterie, rattachable au thème du mode de consommation et de l’accord met/alcool, (c)
  • Publication de mysweetcactus montrant un anniversaire avec une bouteille de champagne rattachable au mode de consommation, (d)
  • Publication de missudette montrant une table de noël, rattachable au mode de consommation (e).

Les juges, suivant l’analyse de l’ANPAA, se bornent à sanctionner aux motifs que ces contenus, pourtant très banals et anodins, associent 

  • (a) Un moment joyeux de vacances de la titulaire du compte et des émotions positives liées aux vacances et à un moment agréable au bord de la plage avec la consommation d’alcool,
  • (b) La notion d’aventure avec la consommation d’alcool,
  • (c) et (d) Des moments joyeux avec la consommation d’alcool,
  • (e) le moment festif de Noël à la consommation d’alcool.

Et que ces associations conduisent à une consommation excessive.

Cette décision, si elle reste en l’état sur cette analyse, constitue donc une régression et va obliger les marques, et les influenceurs, à une extrême réserve dans les contenus publiés.

Doit-on y voir la volonté des juges de déboucher sur des contenus très neutres, sans arrière-plan ? En effet tout arrière-plan peut donner lieu à des interprétations extensives et subjectives, non conformes à des principes qui ne figurent d’ailleurs ni dans le CSP ni même dans la recommandation « alcool » pourtant très claire et riche de l’ARPP. Loin d’éclairer les dispositions du CSP, cette décision les complexifie. Et cela d’autant plus qu’énoncée en termes généraux elle pourrait s’appliquer à des contenus publiés par les marques sur leur propre compte Instagram.                    

Petit florilège de ce qui est jugé comme non conforme aux dispositions du CSP

De manière assez prévisible, et dès lors qu’il ne s’agit pas de personnages ayant une fonction professionnelle effective, passée ou présente, exercée dans l’élaboration, la distribution ou la présentation du produit au consommateur, la représentation des influenceurs pose visiblement un problème, même si cette présence n’est pas expressément et par principe jugée comme illicite par les juges.

De manière tout aussi prévisible, des scènes, interprétées comme conviviales ou festives, sont jugées illicites.

De manière beaucoup plus subjective, sont aussi considérés comme illicites :

  • L’association d’un dîner avec une magnifique vue ( ?) à une marque d’alcool,
  • L’association de moment champêtre dans les vignes avec la consommation d’alcool,

Et le message sanitaire ?

Les juges considèrent comme illicites des contenus (textes + image) qui ne comportent aucun message sanitaire. C’est logique.

Ce qui par contre pose problème c’est que, dans son commentaire de la décision, l’ANPAA va plus loin en considérant visiblement qu’un message sanitaire qui ne figure que dans le texte et non sur la photo n’est pas suffisant (Exemples de contenus sponsorisant l’alcool sur les réseaux sociaux condamnés par la justice/ pages 1/2/4). Or, ni le CSP, ni la recommandation « alcool » de l’ARPP ne rentrent dans ce niveau de précision.

Alors que faire ?

Sur la compétence

Très classiquement, et rappelant, tant l’article 46 du code français de procédure civile que l’article 7, 2) du règlement UE n°1215/2012 du 12 décembre 2012 sur la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, le juge se déclare compétent à juger une société basée en Irlande. En effet, le demandeur (l’ANPAA en l’espèce) peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur en matière délictuelle, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi. La personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire.

Je suis bien évidemment à votre entière disposition pour examiner les conséquences opérationnelles de cette décision pour vos communications sur vos boissons alcoolisées.

9 février 2023

 

 

Olivier Poulet

Maitre Olivier Poulet
Avocat au Barreau de Rennes

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