Abonnez-vous et accédez à tous le contenu juridique du site En savoir plus
News
20 septembre 2018

Statuant sur l’appel formé par l’ANPAA, la cour d’appel de Paris a rendu son arrêt le 27 mai dernier.

Elle confirme la condamnation d’Inter Rhône pour le slogan « le goût de la vie » et la légalité du visuel « maison ». Par contre elle infirme l’ordonnance de référé du TGI de Paris en estimant que le visuel « ballon » n’est pas conforme aux dispositions du Code de la santé publique.

Si cette non-conformité du visuel « ballon » n’est pas en soi une totale surprise, on aurait aimé avoir une argumentation solide et étayée. Au lieu de cela, pour arriver à cette condamnation, la cour d’appel fait preuve, encore une fois, d’une analyse que l’on pourrait qualifier d’obscurément claire et elle ajoute une bonne dose d’incertitude quant à l’interprétation de l’article L3323-3-1 introduit par la loi relative à la modernisation du système de santé de janvier 2016.

Cette décision a suscité de nombreux commentaires qui critiquent l’attitude de la cour et y voient une volonté de censure. Comme on va le voir dans cet article, cet arrêt est aussi très critiquable sur un plan strictement juridique.

Un interprétation très audacieuse de l’article L3323-3-1 et de la notion de publicité

Avant d’analyser le visuel « ballon », la cour d’appel cherche à définir ce qui est une bonne publicité et ce qui est une mauvaise publicité.

Dans un premier temps, elle passe en revue les différents articles du Code de la santé publique.

Pour décrire l’article L3323-3-1, la cour indique qu’il distingue les contenus journalistiques à but informatif de la publicité. Or cette description est erronée puisqu’à aucun moment l’article ne propose une telle distinction.

Plus loin, la cour évoque la conformité de la loi Evin avec le droit européen en écrivant que la loi Evin permet « l’information du consommateur sur les propriétés objectives de la boisson alcoolique ». Et la cour d’appel conclut d’une part que les visuels soumis à son analyse « sont des publicités et non des articles de presse à but informatif » et que plus particulièrement le visuel « ballon » ne remplit pas la prescription de l’article L3323-4 « relative au caractère objectif et informatif de la publicité. »

Si on comprend bien, la publicité est informative, et les contenus journalistiques autorisés par l’article L3323-3-1 sont aussi informatifs. Dans ce cas, quelle est la différence ?

En faisant cet amalgame la cour d’appel outrepasse les termes de la loi puisque il n’est jamais écrit que la publicité doit être objective et informative tout comme il n’est pas écrit que les contenus visés par l’article L3323-3-1 doivent être journalistiques.

Ainsi que l’a clairement écrit la cour d’appel de Versailles dans le dossier CIVB, « par nature, toute publicité ne peut avoir comme objectif que de modifier le comportement de son destinataire en provoquant l’achat du produit présenté, soit en provoquant le désir d’acheter et de consommer. La présentation du produit à promouvoir suppose donc que ce dernier, et sa consommation, soient présentés sous un jour favorable et de façon attractive, la créativité des annonceurs étant seulement encadrée et non totalement muselée. L’ANPAA est donc mal fondée à soutenir que toute évocation en termes positifs de la consommation de vins tomberait sous le coup de la loi. Il incombe à la Cour de rechercher si les limites fixées par le texte susvisé ont été respectées, étant rappelé que, licite en son principe, la publicité relative à une boisson alcoolisée doit porter sur les éléments limitativement énumérés par l’article L3323-4 du code de la santé publique. »

Une publicité uniquement objective et informative remplit-t-elle cette mission ?

Dans tous les cas, la vision qu’à la cour d’appel de cet article L3323-3-1 est très préoccupante car si c’est cette voie qui est choisie, le moins que l’on puisse dire c’est que cela est très limitatif. Cela ne peut que rendre plus nécessaire encore les recommandations de prudence qui sont faites au sujet de l’application de cet article.

Une motivation de la non-conformité plutôt bâclée

En s’appuyant sur sa définition de la publicité, la cour d’appel motive la non-conformité de quelques formules non étayées.

La cour déclare en effet que l’impression de gaité, de légèreté et de liberté qui se dégage du dessin est directement associée à la consommation des vins de Côtes du Rhône. Et que ce visuel « peut conduire à une consommation excessive pour atteindre le stade de félicité suggéré par le visuel ».

Comme la cour d’appel de Versailles a considéré, sans être démentie par la cour de cassation dans les deux dernières décisions du marathon des visuels du CIVB, que l’incitation à consommer n’est pas en elle-même sanctionnable puisque c’est le rôle même de la publicité, la cour d’appel de Paris ajoute la notion de consommation excessive.

Mais en quoi ce visuel incite-t-il à une consommation excessive ? La cour d’appel ne le détaille pas et procède simplement par affirmation.

Cette manière de faire, pour critiquable soit-elle, est habituelle et constitue l’un des griefs les plus importants contre l’application de la loi Evin. Des analyses subjectives, sans le début d’une justification. Le but doit être de sanctionner les producteurs, peu importe les moyens.

Pour être tout à fait complet, la cour d’appel estime que l’autre visuel qui représente un homme en train de repeindre sa maison en rouge est lui légal car il n’incite pas à une consommation « abusive et excessive » (cela fait vraiment beaucoup !). En quoi ce visuel est-il informatif et objectif sur une boisson alcoolisée ? Là encore silence.

10 juin 2016

 

 

Olivier Poulet

Maitre Olivier Poulet
Avocat au Barreau de Rennes

Suivez-moi sur Facebook Twitter Linkedin