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News
20 septembre 2018

Lors de son examen de la loi relative à la santé, la commission des affaires sociales de l’Assemblée Nationale a adopté successivement deux amendements qui pourraient modifier la partie Alcool de la loi Evin.

Ces deux amendements conduisent à une certaine schizophrénie, tant leurs fondements respectifs et leurs conséquences pratiques sont opposées.

Durcissement du message sanitaire : seul le gouvernement sait ce qui est bon pour le citoyen.

Le premier amendement conduirait à écrire la fin de l’article L3323-4 du Code de la santé publique ainsi :

« Toute publicité en faveur de boissons alcooliques, à l'exception des circulaires commerciales destinées aux personnes agissant à titre professionnel ou faisant l'objet d'envois nominatifs ainsi que les affichettes, tarifs, menus ou objets à l'intérieur des lieux de vente à caractère spécialisé, doit être assortie d'un message de caractère sanitaire dont le contenu est défini par un arrêté du ministre en charge de la santé fixant la liste et les caractéristiques des informations ou des messages à caractère sanitaires à utiliser ainsi que leur adaptation en fonction des supports et des modalités techniques de diffusion du message publicitaire ou promotionnel, du public visé ainsi que des boissons concernées. »

Exit le caractère unique du message. Exit le rôle des professionnels de la filière Alcool. Exit l’accent mis sur le danger de l’abus d’alcool. Bonjour la stigmatisation annoncée.

Désormais les professionnels (producteurs et distributeurs, agences de communication, supports….) devront tenir un liste des messages applicables dont le contenu sera variable et unilatéral. Que fera-t-on pour les publicités portant sur plusieurs produits supportant un message différent, par exemple le site internet d’un producteur ayant plusieurs catégories de boissons à son catalogue ? Un visuel publicitaire passant en presse et en affichage devra avoir un message différent ? Le message accompagnant une publicité pour un pastis sera plus sévère que celui sur une publicité pour la bière ?

On souhaitait une simplification de la loi Evin, c’est le contraire qui pourrait être mis en place.

Cette évolution pourra permettre aux associations qui plaident pour un durcissement de la loi Evin, d’obtenir des oreilles qui leurs sont attentives au ministère de la santé, un message qui ne parle plus que de consommation modérée, qui supprime la notion d’abus. Il est constant que les producteurs ou distributeurs de boissons alcoolisées ne sont pas des interlocuteurs très écoutés par l’administration de la santé.

De manière plus générale cela signifie que seule l’administration centrale sait ce qui est bon ou non pour la santé, et que les professionnels ne sont pas crédibles. Adieu le souhait de pouvoir parler de consommation responsable.

Enfin c’est la porte ouverte à une dérive du type du tabac avec des messages trash, et à terme avec des bouteilles neutre.

Cà c’est le froid.

Une définition restrictive de ce que sont « la publicité directe » et « la publicité indirecte »

La même commission après avoir soufflé le froid souffle du chaud, et propose, enfin, une définition de la publicité.

« On entend par propagande ou publicité, au sens du présent livre III, un acte de promotion effectué en faveur d’un produit ou service, relevant de l’activité d’une personne ayant un intérêt à la promotion dudit produit ou service et susceptible d’être perçu comme un acte de promotion par un consommateur d’attention moyenne.

Toute propagande ou publicité en faveur d’une boisson alcoolique ne doit pas inciter à un excès de consommation, en particulier chez les jeunes.

La publicité ou la propagande est directe lorsqu’elle est effectuée en faveur d’une boisson alcoolique. Est considérée comme propagande ou publicité indirecte la propagande ou publicité effectuée en faveur d’un organisme, d’un service, d’une activité, d’un produit ou d’un article autre qu’une boisson alcoolique qui, par son graphisme, sa présentation, l’utilisation d’une dénomination, d’une marque, d’un emblème publicitaire ou d’un autre signe distinctif, rappelle effectivement ou a pour but de rappeler une boisson alcoolique. Seuls les éléments de la publicité consacrée à un organisme, un service, une activité, un article autre qu’une boisson alcoolique qui rappellent effectivement ou ont pour but de rappeler une boisson alcoolique doivent être conformes aux dispositions de l’article L. 3323-4».

Premier point positif, la définition de la publicité proposée reprend les définitions que de nombreux commentateurs et professionnels suggéraient depuis longtemps.

En introduisant l’idée qu’un texte, une image ou un son n’est publicitaire, que s’il est diffusé par une personne ayant un intérêt à la promotion du produit, on cantonne l’action publicitaire.

Un article rédigé de sa propre initiative par un journaliste n’est plus de la publicité. Un reportage sur une appellation ou un château n’est plus de la publicité. Une photo illustrant un article consacré à une actrice n’est plus une publicité.

Et pour les publi-rédactionnels, pas de problème puisqu’ils sont rédigés « sur ordre » et ils portent la mention « ceci est une publicité ». Ils sont donc perçus comme une publicité par le fameux consommateur d’attention moyenne. Juste pour rire : jusqu’à quelle quantité d’alcool le consommateur reste-t-il avec une attention moyenne ?

Deuxième point positif, il est précisé que la publicité ne doit pas inciter à un excès de consommation. On en revient aux fondamentaux de la loi Evin et à une certaine cohérence. Autoriser la publicité pour les boissons alcoolisées c’est inciter à l’achat et à la consommation. Donc condamner une publicité simplement parce qu’elle est incitative est pour le moins juridiquement problématique.

Les dispositions qui définissent la publicité indirecte sont pragmatiques et n’encourent pas la critique.

Cet amendement, en lui-même, est donc tout à fait intéressant et amènera de la clarté s’il est voté en l’état.

Mais où se niche donc la schizophrénie ?

Dès lors que le message sanitaire ne parle plus des effets néfastes de l’abus d’alcool, mais peut évoquer ces effets néfastes dès le premier verre, et que les juges ne condamnent effectivement que la publicité incitant à une consommation excessive, on va donc pouvoir faire de la publicité pour un produit dont la consommation est dangereuse pour la santé.

Je n’ose imaginer ce que cela pourra entrainer comme décisions lorsqu’une publicité sera soumise aux juges.

On a véritablement l’impression que pour faire un contre feu à l’amendement sur le message sanitaire, la commission a voulu apaiser le débat en acceptant la demande sur la définition de la publicité.

Peut-être serait-il sage, avant de toucher au message sanitaire, de faire une étude d’impact sur son effet réel notamment dans sa nouvelle version.

Il existe des études qui montrent que les messages sanitaires anti obésité ont un contre effet. En gros (si j’ose dire) je peux manger n’importe quoi puisque par ailleurs je mange 5 fruits et légumes par jour ou je fais du sport.

Puisque la consommation d’alcool est mauvaise pour la santé, peu importe que je boive raisonnablement!

Comme on le voit, le débat sur cette loi ne prend pas le chemin espéré de la simplification et de la clarification.

23 mars 2015

Olivier Poulet

Maitre Olivier Poulet
Avocat au Barreau de Rennes

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